Devant la douleur des autres…
« Devant la douleur des autres », de Susan Sontag est un livre à lire.
Au début du deuxième chapitre, Susan écrit :
Être spectateur des calamités qui se déroulent dans un autre pays constitue une expérience typiquement moderne, étant donnée l’offre accumulée, depuis plus d’un siècle et demi, que nous font ces touristes professionnels, spécialisés, appelés journalistes. Les guerres, à présent, sont aussi le spectacle son et lumière de nos salons.
Susan dénonce un processus économique d’offre et demande : la société actuelle est, de plus en plus, demandeuse d’images de plus en plus « choc ». Et il y aura toujours des professionnels pour satisfaire une demande…
Je me rappelle de la guerre du Golf en 91… La chaine « La Cinq » proposait une édition spéciale qui durait toute la soirée. Les mêmes questions étaient posées encore et encore aux invités qui se succédaient… et toujours la même réponse : « il faut être très prudent… ». Les téléspectateurs restaient scotchés devant leur écran dans l’attente angoissante d’un fait nouveau, qui ne venait jamais. On avait envie que ça se passe comme dans un épisode de de ces séries policières, avec beaucoup de sang et, au bout de juste 50 minutes d’attente, le héros finissait par massacrer le bandit ou, au moins, l’arrêter et le mettre en prison. Mais dans la vie réelle les choses ne se passent pas comme dans ces épisodes et les guerres sont alors suivies en temps réel comme des feuilletons : nous l’avons vu dans d’autres « épisodes » plus récents…
Les images de violence font déjà partie de notre société. Il y a une banalisation, une accoutumance et une de-sensibilisation : ces images sont produites à une cadence telle que nous nous sommes habitués et plus nous sommes habitués, plus nous sommes susceptibles d’accepter et demander des images de plus en plus violentes.
Le livre contient une série intéressante de réflexions au sujet des images de « la douleur des autres ». La plupart des exemples traités se réfèrent à des photos des guerres, mais la réflexion est générale.
En fait, il y a une réflexion à mener au sujet des photos que nous prenons et de nous demander si certaines photos sont vraiment utiles. Je cite deux exemples très anodins de photos que l’on trouve souvent dans les forums ou réseaux sociaux. Les photos de la pauvreté : les clochards et les personnes sans abri… Ou encore, les photographes avides de technologie qui prennent des photos de personnes âgées ou usées par une vie difficile, augmentent excessivement le contraste pour renforcer les rides et les marques du temps. A quoi ça sert ???
Dans l’autre extrême, il y a des photos faites par des photographes professionnels et que je pense sont parfaitement inutiles. Je pense, par exemple, à une photo de Steve McCurry, d’un petit garçon au Perou, pointant un pistolet vers son front. On aperçoit le désespoir dans le visage de l’enfant. Même si la cause est anodine, sa réaction, de pointer un pistolet vers sa tête, est terrible. Je peux comprendre que cette photo puisse être utilisée avec une finalité d’aide sociale, mais pas qu’elle soit mise en vente ou que l’on puisse se vanter de l’avoir prise, comme un trophée. Je me demande ce que cette photo a aporté à ce petit garçon. Mais bon, c’est juste un avis personnel.
En fait, mon opinion personnelle est qu’une telle photo ne doit être prise ou diffusée que si elle est utile et peut diminuer la souffrance de quelqu’un (la valeur d’usage) ou alors comme valeur historique et surtout pas pour juste faire une bonne photo de plus ou encore pour satisfaire la soif d’images poignantes et, encore moins, gagner de l’argent avec la souffrance des autres.