Même pas vieille…

Un projet que je n’ai pas fini… L’idée était de faire soit un petit bouquin, soit une exposition. Le thème était « vieillir » et faire passer un message positif disant que vieillir n’est pas une catastrophe (je n’aime pas le mot vieillir).

Concrètement, il s’agit de passer un entretien avec des femmes d’un certain âge. Des femmes qui vivent l’âge qu’elles ont et sont heureuses comme ça.

J’ai pu constater que, malgré le petit nombre de portraits, ce que ces dames ont en commun est leur activité sociale. Elles ne passent pas leur temps à rester à la maison ou à s’occuper des petits-enfants, à faire des gâteaux, même si cela fait partie de leur vie. Elles ne regrettent pas les années passés. Elles ont toutes une activité sociale, souvent du bénévolat.

Elina

Elina… sacrée Elina. Je l’ai appelé, par téléphone, pour lui demander un rendez vous et j’ai déjà eu la certitude de son dynamisme. Elle m’a reçu et nous avons pu bavarder pendant presque deux heures sans voir le temps passer.

Avec 93 ans et demi (elle a insisté sur le « demi »), c’est une femme dynamique et cultivée, avec un caractère bien affirmé, très au courant de l’actualité et des technologies modernes. On peut discuter de tout avec elle.

Sa vie professionnelle a commencé en tant que professeur de lettres. Puis, après une période d’arrêt au début de son mariage quand elle a eu ses trois enfants, elle a voulu enseigner en classe de maternelle – c’était son choix. Enfin la retraite, pour laisser la place libre à quelqu’un d’autre, dans un esprit de partage du marché de l’emploi.

Cet esprit de partage, elle le cultive depuis l’adolescence avec le scoutisme. L’enseignement est aussi une activité sociale, puisque tournée vers les autres, qu’elle a complété avec du syndicalisme et encore d’autres activités sociales.

La retraite lui a permis de voyager plus et plus longtemps avec son mari, mais aussi de se dédier encore plus à des œuvres sociales. Dans la première année, elle a étudié égyptologie à l’Ecole du Louvre.

Le soutien scolaire est, parmi ses activités actuelles, celle qui m’a semblé être sa préférée. Activité qu’elle pratique toujours avec deux ou trois élèves. Des enfants, des jeunes ou des adultes en difficultés pour des raisons diverses (par exemple, des étrangers en difficultés). Les acquis de sa carrière lui permettent d’apporter un soutien très personnalisé et bien identifier ce dont ses élèves ont besoin.

Le travail associatif, ça se prépare. Il ne faut pas attendre la retraite pour commencer à s’ouvrir vers les autres : ça ne marche pas. Elina a l’impression que ceux qui n’arrivent pas à s’ouvrir vers les autres finissent par s’enfermer en eux mêmes.

Ce que lui apporte ses activités de bénévolat ? Rien, dit-elle, juste le partage, pouvoir aider ceux qui sont dans le besoin et qui ont moins qu’elle. Avec un peu d’insistance, elle a finit par admettre se sentir satisfaite quand elle constate des progrès dans le chemin de ceux qu’elle a pu aider.

Une petite réussite tout à fait personnelle ? La montée du Kilidmanjaro avec son mari, dans ses 56 ans ! La montagne la plus haute d’Afrique. Née à Briançon, la ville la plus haute de France, elle a été habituée à la marche en montagne. Son corps, elle s’est toujours, et encore aujourd’hui, efforcé de le maintenir en forme, avec de la marche et de la gymnastique.

Sur le monde d’aujourd’hui, elle pense que l’on doit élever les enfants avec plus de rigueur et autorité : inculquer des valeurs qui se perdent, en particulier le respect de l’autre.

Les événements récents (les attentats autour de Charlie-Hebdo) sont pour elle un fait marquant. Elle a participé de la manifestation à Paris et a été satisfaite de voir l’esprit de solidarité et pense que les gens doivent profiter de l’occasion pour réfléchir et chercher à mieux vivre ensemble.

Finalement, nous sommes devenus des amis. C’était une femme formidable. Et elle est partie à ses 101 ans.

Ramatha

Ramatha est née au Mali et vit en France depuis 40 ans.. A la retraite depuis… 5 ans. Ce chiffre, elle a dû chercher un peu… Le temps, ça ne se compte pas… Alors, je n’ai pas osé lui demander son âge puisque, comme elle le dit, l’âge n’a pas d’importance.

Elle mène une vie tranquille et prends son temps : se lève vers 9h30 et se couche parfois très tard quand il y a un programme intéressant à la télé. Elle s’intéresse aux infos et aux programmes culturels (documentaire, …). Dans la journée, elle prend son temps… Elle aime bien diner avec ses enfants, qui sont déjà grands, c’est un des moments conviviaux de la journée.

La retraite, selon Ramatha, ça se prépare. Depuis longtemps elle avait déjà des activités associatives. Le passage à la retraite a été juste un arrêt de son activité professionnelle et continuation dans des associations. Elle s’est quand même permit de ne rien faire pendant un mois…

C’est d’ailleurs dans l’association qu’elle préside qu’elle m’a reçu. Son association aide les jeunes en difficulté, avec des cours aussi variés que l’alphabétisation, la couture et l’informatique, … Ce jour là marquait une réussite puisque l’association avait pu embaucher quelqu’un pour s’occuper des tâches administratives et de la médiation entre les personnes assistées et les services administratifs, les écoles, etc.

La culture malienne résulte du mélange des cultures des différentes ethnies avec celles des peuples qui ont colonisé le pays. Ramatha trouve ses racines dans l’animisme, qu’elle définit comme une vraie écologie, sans la composante politique. Dans le respect de ses racines se greffe, par exemple, la religion. Ramatha pense qu’il est très important de préserver ses racines et sa culture.

Ramatha a un contact facile et le sourire est permanent chez elle. Son secret ? Simple, dit elle : elle a toujours cherché à casser les rapports inutilement solennels, ce qui lui permettait d’être plus proche des gens, d’être bien acceptée et de mieux faire passer ses idées. C’est une femme qui sait ce qu’elle veut et se bat pour ses objectifs mais, vraisemblablement, sans rien bousculer.

C’est une femme belle et « coquette » qui soigne son image, mais sans exagération. Elle voulait être belle pour la photo mais, dans les jours que je l’ai vu, je n’ai pas remarqué de différence. Peut-être que parce que je suis un homme, ou alors, son sourire suffit pour qu’elle soit captivante.

Christine

Christine… Beaucoup de boulot pour la convaincre de se laisser photographier…

Hésitante, elle a accepté de me recevoir. On a discuté autour de la table de son salon. Dans un coin de la table, l’hebdomadaire du programme télé et une revue de mots croisés. Elle a rapidement demandé : « Mais que voulez vous de moi ? Un portrait ? Mais je ne suis pas photogénique, je ne suis pas belle. Regardez ces photos. Et puis, il y a d’autres gens qui sont plus intéressants et plus importants que moi ».

Et puis, on a bavardé, on a parlé de chacun de nous deux, pour nous connaître et pour lui dire pourquoi je voulais faire son portrait.

De la vie à la ferme en son enfance à la vie de nos jours : l’actualité, l’internet, … le séjour chez des sœurs religieuses infirmières et son mariage à 25 ans avec celui qui, depuis l’âge de 17 ans, voulait se marier avec elle.

L’épicerie sociale, l’association où elle a été bénévole après la retraite jusqu’à ce que l’âge ne le permettait plus. « J’ai organisé le rangement des produits. Il fallait expliquer aux gens quoi acheter pour manger équilibré. Et maintenant on ne prend plus soin de la vitrine comme je le faisais… »

Christine « sourit avec les yeux ». J’ai voulu qu’on en parle de son sourire si accueillant… Et elle me dit être toujours comme ça même avec les personnes qu’elle ne connait pas. Pendant les 32 ans qu’elle a travaillé dans une librairie elle n’a levé la voix que deux fois : une fois pour une promotion qu’elle n’a pas demande et l’autre contre des gens qui discutaient de la religion. Et pourtant… elle ne se laisse pas faire !!!

Au moment de partir à la retraite, elle aurait pu rester encore mais, avec l’arrivée des ordinateurs, son employeur entendait licencier quelques caissières. Elle a décider de partir pour laisser sa place à une de celles qui allaient être licenciées.

Son âge ? Elle n’y pense pas mais souhaite ne pas devenir grabataire. Et en plus, il y a une dame qui habite pas trop loin qui a été opérée des genoux, on lui a mis une prothèse et maintenant elle marche vite et Christine n’arrive pas à la suivre.

Enfin, elle a fini par accepter de se faire photographier…

Quand je partais, elle me demande si je voulais boire quelque chose, du jus de fruit ? Et me disait qu’elle aurait dû me le proposer avant.

A la maison, je pensais à Christine et je crois l’avoir comprise. Elle est quelqu’un qui n’a jamais cherché à être dans le « devant de la scène » et a toujours mis les besoins et intérêts des autres devant les siens. Elle s’est toujours satisfaite des petits bonheurs de la vie. C’est peut-être comme ça qu’on peut être heureux : il suffit juste de ne pas y penser, ne pas s’acharner à l’être à tout prix !

Michelle

Michelle est un « concentré d’énergie » !!!

Femme de caractère très fort : indépendante, décidée, très active et courageuse. Comme un scout : toujours prête, toujours partante ! Ne laisse pas pour plus tard ce qu’elle peut faire maintenant ou, plutôt, tout de suite.

Elle a ses origines dans un milieu bourgeois bordelais. Arrivée à Paris à 20 ans, elle a fait toute sa vie professionnelle en tant qu’infirmière dans le service de chirurgie d’un hôpital parisien. Le passage à la retraite a été marqué par un petit arrêt puis les activités associatives ont commencé très vite avec d’abord l’Épicerie Sociale, qu’elle a aidé à créer. Puis, il y a aussi la Culture du Cœur (des entrées gratuites pour les spectacles), l’aide au devoir avec 3 ou 4 enfants en permanence. A l’époque des vacances, il y a des cours de tricot. Elle a aussi un côté artistique : photographie et peinture, mais ne pratique plus par manque de temps. Ce qu’elle aime et c’est ce que lui apporte l’activité associative est le contact humain.

Ce qu’elle aime le plus est le rugby féminin. Ainsi, elle a aidé à créer l’équipe féminine de rugby de Massy.

Son âge, 75 ans, elle ne cache pas, et ça ne le dérange pas non plus. Elle vit le moment présent, elle n’a pas d’âge.

Comme toutes les femmes, dit elle, elle est coquette, aime être bien présentable pour plaire. Ne s’habille pas avec des habits de son âge mais avec des habits qui lui plaisent.

Elle prends soin de son corps : 7 km de marche nordique quasiment tous les jours et acqua gym les mercredis. Parfois elle est tiraillée entre un régime et le plaisir gastronomique – peut-être à cause de ses racines bordelaises…

Très adepte des outils modernes de communication : smartphone, ordinateur, tablette… Par contre, les gadgets de la voiture ne le branchent pas tellement, il faut avoir l’essentiel et que ça roule : elle fait beaucoup de kilomètres en été : la Dordogne, Bordeaux et les Landes.

Décidée, ne se laisse pas « marcher sur les pieds » et n’hésite pas, par exemple, à remettre à leur place des gros gaillards qui essayent de couper la file.

Elle aime parler, discuter, raconter, … parler de ses enfants et petits enfants. Elle a des yeux qui « pétillent » quand elle parle. Le tutoiement vient facilement et c’est inévitable.

Derrière toute cette énergie, il y a une femme sensible, toujours prête à aider les autres, à n’importe quel moment. Elle n’est jamais passive, elle prends toujours le devant (« et si on faisais ceci ? Et si on faisait cela ? »), pas pour paraître, mais pour plaire.